Pagayeur d'Iroise

mercredi 28 septembre 2011

Mimi l'Otarie

Lors de mon dernier passage à Molène j'ai croisé une vieille connaissance Polo le phoque. Je me suis arrêté pour bavarder et lui donner des nouvelles d'une vieille amie. Mimi l'Otarie.
en grande discussion avec Polo le Phoque - crédit photo Fou de kayak
L'ayant revu peu de temps auparavant il m'a demandé de la saluer de sa part. La conversation suivant son cours il tenait à ce que je la remercie pour le fameux récit qu'elle avait fait du périple des "rigolos" lors de leur voyage dans les îles de la Mer d'Iroise.
De retour sur le continent il m'est venu à l'idée de ressortir ce récit épique qui en son temps a ravi beaucoup de kayakistes. Mais avant je devais recontacter Mimi afin d'avoir son accord. Chose faites.
Le récit que vous allez lire ou relire vous donnera un aperçu de ce que fut la première M.O.S. dont je vous relatais avec beaucoup moins de talent la dernière aventure.

Jean-luc
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BALADE EN MER D'IROISE
Randonnée en Kayak de mer
Le Conquet-Molène-Ouessant-Le Conquet-Morgat-Baie des Trépassés-
Sein-Baie des Trépassés
Du 10 au16 AOÛT 2009


Molène-Ouessant-Sein
10-16 août 2009
JOURS J-X

Mon cousin Polo Le Phoque, souverain de Molène, Iroise et autres lieux, m’ayant invitée à visiter son royaume, je quittai mes mers australes au solstice d’été. J’avais bien étudié l’itinéraire à suivre, la géographie du royaume de Polo, et pris soin d’acheter auprès de l’agence Merzhin un pass-Merveil. Je mis la clé sous la roche, sautai de courants en courants, fis quelques étapes sur bancs de harengs et abordai tranquille les rivages bretons.

Polo m’avait incitée à visiter la célèbre rade de Brest avant notre rendez-vous du Conquet. Il y avait là, m’avait-il télépathé, une drôle d’équipe de rigolos se permettant régulièrement d’envahir son territoire. Ces Bipèdes, jouant à contre-sens le mythe de la petite Sirène, se transforment parait-il en demi-poissons singeant les queues de nos amies en s’introduisant dans un étrange engin tellement rigide qu'ils sont obligés d’agiter frénétiquement leurs nageoires antérieures collées sur un drôle de bâton pour avancer.

Comme je suis coquette et soucieuse de cacher mes mignonnes petites oreilles pour voyager incognito, j’avais fait en cours de route provision de jolis chapeaux : des trucs ronds de toutes les couleurs que les Humains laissent traîner sur la mer. Aussi je pus m’approcher discrètement du port du Moulin-Blanc où les Rigolos ont double repaire. Devant celui dit CKB, un chevelu-barbu que je reconnus pour leur chef, le Chevalier blanc d’après les descriptions de Polo, s’agitait, enfournant des tas de paquets dans une grosse caisse à hublots posée sur quatre bouées de sauvetage verticales que je vis plus tard se déplacer dans tous les sens et à toute vitesse. Le Chef avait l’air plus épuisé que rigolard. Grâce à mon ouïe fine, je l’entendis dire qu'il avait passé des heures à faire les magasins pour pouvoir nourrir son escorte. Drôle d’idée... Mais c’est vrai que les poissons, faut savoir les attraper....
Un peu plus tard (était-ce le même jour? ma mémoire parfois me joue des tours) je le vis entouré de quelques autres manipulant leurs substituts de queues de poissons, rouges, jaunes, orange...les empilant sur une caisse roulante mais sans hublot cette fois. Ils répétaient “kayak, kayak” on eut dit des goélands.
Je dus me cacher ensuite entre les voiliers amarrés pour les entendre, de leur repaire du Tour du’M, organiser les navettes de voitures (j’ai pas tout compris mais je répète) entre Le Conquet et la baie des Trépassés où ils avaient la prétention de se rendre. Les mots volant bas sur l’eau et le vent étant favorable, j’avais en arrivant surpris une conversation entre deux de leurs copains riant de cette prétention et faisant des paris sur le nombre d’acharnés qui arriveraient au bout.
Je devinai que leur week-end allait être chargé et, pendant qu'ils préparaient leur voyage, j’avertis mon cousin de cette prochaine incursion sur son territoire. Je sentis qu'il les trouvait plutôt sympathique et courageux depuis qu'il avait vu certains d’entre eux affronter les éléments déchaînés peu avant le solstice d’été, et avait discrètement empêché d’autres, quelques jours plus tard, de se perdre dans la brume. Il me dit qu'il allait leur organiser un comité d’accueil spécial.
Nous convînmes d’un rendez-vous le lundi suivant, 10 août 2009 au calendrier des Bipèdes, devant le phare du Conquet.

Je traînai tout le week-end autour de Brest, me reposant d’une semaine maussade, pluvieuse, venteuse et d’une mer agitée et étudiant de loin le comportement des Humains et leur vocabulaire : j’ai vécu jusqu'ici loin de ce qu'ils appellent la civilisation, mot qui rime avec pollution, consommation, compétition, confrontation, déforestation, disparition etc... et pas du tout avec sagesse.


JOUR J: Le Conquet-Molène

Je m’élançai le lundi aux aurores vers le lieu de mes retrouvailles familiales.
J’étais en vue du phare du Conquet lorsque j’entendis un charivari sur la plage de Porz-Liogan. Je reconnus le Chevalier et son escorte, dix bipèdes en tout, arrivés dans des voitures chapeautées de kayaks. Il était neuf heures à la montre que j’avais trouvée sur une des plages où j’avais réchauffé ma fourrure.

plage de Porz Liogan
Ils descendirent leurs embarcations et mirent beaucoup d’énergie à les bourrer de tas de sacs qui n’avaient pas l’air tous décidés à faire le voyage. Puis après s’être longuement concertés et avoir écouté religieusement le Chevalier David dit Dap, ils les descendirent sur la plage, bizarrement affublés. Les cuirasses leur enserrant le torse, leurs espèces de jupes relevées en arrière, et leurs drôles de lances élargies aux extrémités leur donnaient des airs de légionnaires romains retour d’Écosse. Ils prirent le départ vers 11H, à mi-marée descendante. Le ciel était bleuté et la mer calme, mais il y avait un fort courant (coeff 83 pour les initiés) qui inclinait les balises.

D’après les descriptions du Service de Renseignement de Mer d’Iroise que m’avait transmise Polo, je reconnus trois des vétérans des îles Lofoten : la brune Sylvie juchée sur un Eski jaune et blanc, sa copine Marie-Françoise en Magellan rouge, et le barbu Rémi sur un vénérable kayak jaune en polyeth. Françoise dite Framboise, la baigneuse obstinée de l’épisode rock'n roll Molène-Le Conquet, était là aussi, sur son fin bateau tout neuf aux pointes relevées, un Reval mini, qu’elle semblait avoir dompté. Il y avait également les acteurs de Perdus dans la brume : la blonde Katell sur son shore-line orange et Jean-Luc, marseillais de Martigues (mais breton depuis 32 ans tient-il à préciser, ce que ne laisse pas deviner son accent...) en Arktika rouge. Restaient trois inconnus que les autres appelaient “les Indiens de Pornichet” : Dominique et Gilles en tenues jaune-coques blanches faites main et Nicolas sur son Ysak couleur soleil. Cinq mâles et cinq femelles: bien respectée la parité !
Dap, dit le Chevalier Blanc (d’ailleurs sur monture orange cette fois, couleur des sages d’Orient) que je sais Grand Druide d’Iroise, Maître des Marées, des Courants et de la Météo, traînait un peu en arrière ayant des démêlés avec sa ligne de traîne dont la planchette cassa et qui finit par s’emmêler. Exit donc, dès le départ les espoirs de nourrir sa troupe de poissons frais pêchés. Jean-Luc avait pris les devants pour poser une palangre dans l’espoir de régaler ses copains au retour.

Après avoir salué Le Conquet et son phare ils mirent le cap sur Béniguet (veuillez prononcer Béniguette si vous voulez avoir l’air au courant et passer pour un indigène! Tiens donc... et pourquoi pas Le Conquette?) et atterrirent sur la plage au pied de la maison du Service ornithologique où ils furent salués par un des gardes juché sur un tracteur. Ils déballèrent gamelles et bidons et se régalèrent d’une super-salade préparée par Dap qui reçut là ses premiers galons de chef-cuistot. Le ciel s’était habillé de gris et il fallait bien ce savoureux intermède pour garder le soleil en-dedans. D’ailleurs je me serais bien invitée à la fête, mais je suis timide et comme la marée était descendante je dus m’éloigner quelque peu, pour les observer discrètement sans avoir à marcher sur mes nageoires bien que les galets soient jolis, bien polis, et d’étonnantes nuances. Je respirai à pleines narines les odeurs neuves de ces lieux inconnus si riches en goémons et grouillants de vie végétale et animale, et me remplis les yeux de ces paysages sauvages, authentiques et puissants, gardant dans les ruines des maisons couronnant les îles le témoignage de vies humaines rudes et soumises aux éléments.

Après leur repas, et une petite balade de l’autre côté de l’île, vite traversée, pour voir les couleurs et les humeurs de la mer en son Ouest, j’assistai à la deuxième séance de portage du jour... et à la première de traînage-pataugeage-glissades dans les cailloux et les algues car il y avait très peu d’eau sur des dizaines et des dizaines de mètres et l’optimiste qui montait dans son kayak était obligé d’en sortir un peu plus loin, échoué. Enfin tout le monde fut embarqué et ils mirent cap au Nord.

Polo ayant eu des affaires urgentes à traiter, m’avait fait prévenir qu'il m’attendrait quelque part dans l’archipel et je suivis donc ces drôles d’hybrides dont le chef avait l’air de bien connaître les lieux.

La marée descendante transformait les passages entre les îles en rivières qu'il fallait remonter et traverser le nez dans le courant. Moi je trouvais ça plutôt drôle, la plupart des Rigolos aussi, tandis que d’autres avaient l’air de peiner et que d’aucuns faillirent faire un brutal demi-tour (horizontal et vertical...) surpris par un contre-courant facétieux. Ils appelaient ça “faire des bacs” et je rajoutai l’expression dans mon calepin avec tous les mots nouveaux que j’avais cueilli au passage : pagaie, gilet, bout, gouvernail, dérive... et j’en passe. C’est sur un des îlots que Polo et ses sujets guettaient notre arrivée.

Imaginez les Rigolos en train de “faire des bacs”, slalomant entre les îlots, rochers gris sous ciel gris. A leurs yeux incrédules de gros rochers bien ronds et dodus semblent s’agiter et certains glisser dans la mer. “Des phoques” crient-ils ! Un grand nombre à gauche un peu à l’écart, et un isolé à droite qu'ils vont frôler: les voici cernés!!! Une photo vite ! mais le courant qui les emporte dissuade les photographes amateurs et les soude à leur pagaie. Dap est en train d’expliquer quelque chose à un de ses équipiers, et comme pour confirmer ses dires retentit un cri puissant, prolongé, inconnu, étrange.... “Le cri du loup!!!!” dit Dap. Instant rare, précieux, inattendu, véritable cadeau du ciel et de mon cousin Polo. Le cri du mâle dominant qui avertit sa troupe d’un danger, ou la salutation du Roi d’Iroise à ses visiteurs (et à sa cousine) ? Avertissement ou bienvenue ? Qui sait ? Hé, hé..

Je visitai donc à la suite des Bipèdes (bipèdes, bipèdes, j’en douterais si je ne les avais vu hors de leurs kayaks, lesquels leur donnent des allures de culs-de-jatte...) et à leur insu, l’archipel de Molène dans son entièreté et sa splendeur, frôlant Morgol et Litiri, saluant de loin Trielen et l’île aux Chrétiens, et croisant au détour d’un rocher un neveu, une cousine, une amie.

Finalement, après avoir vu l’éolienne de Quéménes sous tous les angles, ils mirent enfin, à partir de Ledenez-Queménes, le cap à l’ouest et, après un grand bac, atteignirent juste après la renverse et vers 15h, la jetée de Molène au pied du camping et de la SNSM, accueillis par quelques pêcheurs souriants (mais oui, ça existe!) qui leur laissèrent bien volontiers la place, saluant cette traversée et le programme énoncé. En avant pour le troisième portage du jour ! Hisser les kayaks sur la jetée, grimper la jetée, tourner sur le chemin, arriver au camping et poser les kayaks sur la pelouse. Je vis de drôles d’équipages : le chariot de Dap partir chargé et revenir vide chercher le kayak suivant, mais aussi des kayaks posés tour à tour sur une brouette trouvée là esseulée et errante, et enfin d’autres portés par équipes de deux, de trois, de quatre. Bravo l’entraide et pas de tire-aux-flancs !

Je me tordis le cou, au pied de la dune, pour les voir se mettre au sec et monter les tentes. Il pleuvait une petite pluie fine qui ne les empêcha pas de dresser de bizarres totems avec des pagaies et des bouts pour réaliser des fils à linge sur lesquels les plus optimistes posèrent gilets, jupes, blousons.... Et...attention...patatras!!!... tout par-terre et on recommence !
La pluie cessait par intermittence, laissant espérer un séchage, tandis qu'après un goûter puis un apéro bien réconfortants pour ces sportifs, Dap, qui avait été faire quelques courses, leur mitonna un frichti odorant fait de pommes de terre cuites avec des saucisses de Molène. Les étoiles s’accrochèrent à sa toque tandis que le prestige du restaurateur local fondait comme beurre au soleil.
Le tarp de Dap, bien tendu au-dessus de son kayak, servait de carré aux navigateurs, les plus costauds y ayant traîné la table et les bancs de bois que devait regretter le couple voisin qui en avait précédemment l’usage et qui dînait couché sur l’herbe et sous le crachin. La loi du plus fort...
Quelques-uns se dévouèrent pour la corvée de vaisselle sous l’unique robinet crachotant du camping (NDLA : camping de Molène = un robinet et un wc sans chasse d'eau ce jour-là) et en revinrent copieusement arrosés. Ils ne savaient pas encore qu'ils ne retrouveraient pas d’eau douce avant bien longtemps..
Tandis que Katell plongeait dans un sommeil réparateur le reste de la troupe rallia l’Archipel, haut lieu de restauration locale (enfin...avant la prestation culinaire de Dap), pour se réchauffer avec une petite bière, un café ou une tisane et deviser gaiement.
Ils retrouvèrent au camping les vêtements trempés par l’humidité du soir... et se couchèrent à une heure raisonnable car il fallait le lendemain respecter des impératifs horaires stricts pour passer le Fromveur. La nuit fut agitée par quelques noctambules braillards et Dap copieusement “brumisé” sous son tarp, tandis que les équipements et les tentes étaient rincés à l’eau de pluie.


J2 : Molène-Ouessant

Mardi, petit matin gris, mais pas de pluie. Après un petit-déjeuner de bars et lieus frais surpris au saut du lit, je lissais ma fourrure au pied de la dune. La mer était haute, aux dernières heures de la marée montante, et tapait la cale au pied du camping. Les Rigolos jaillirent de leur tente avec l’aube et commencèrent à s’agiter. Bientôt une odeur de café me chatouilla les narines; thé, pain, crêpes, confiture, compote, jus de fruit s’offraient à leur appétit (aïe mon cou: quelle gymnastique pour voir tout ça!).
archipel de Molène
J’assistai au pliage des tentes mouillées et au rangement. Mais je pris la mesure du dépouillement de mes compagnons de voyage quand je les vis renfiler gilets, blousons, jupes, voire combinaisons, T-shirts, pantalons et chaussures détrempés. Vraiment Dame-nature ne les a pas gâtés ! Mais quelle idée aussi de vouloir évoluer hors de son milieu n’est-ce pas? Enfin, peut-être que leurs arrières, arrières, arrières, arrières...) petits-enfants auront un jour une fourrure ou des écailles : retour à l’enfance du monde et vive Darwin!

Et hop, premier portage du jour ! Hélas la brouette s’est fait la malle. Reste le chariot et les bras pour aller reposer les kayaks remplis jusqu'aux trappes sur la cale. Entraide encore pour embarquer tandis que Nicolas, qui semble s’être désigné photographe-reporter, prend des photos et que le Chef installe et démarre la caméra, Gilles et Rémi assurent l’arrière-garde. Et moi je suis, avec des airs de bouée à la dérive. Nous laissons Molène sur notre gauche, traversons le port et contournons la digue d’embarquement des navettes.

Ouessant est posée sur l’horizon, comme une invite ou un défi. Ouessant, Enez Eussa, l’Ile Extrême, fière et réputée peu accessible, défendue par un fort courant, le Fromveur, encore plus redoutable en ces jours de vives-eaux. Nous avons rendez-vous à 14h15 précise au phare de Kéréon avec la dernière demi-heure de la marée descendante, moment ou le courant sera le moins fort et nous portera à la pointe sud. Mais aux avant-postes se dressent Banalec et Bannec et tout plein de “cailloux”.

On glisse entre Molène et Ledenez et on fait des bacs de rochers en rochers pour passer à l’Est de Balanec. Puis on vise Bannec.
Les Indiens de Pornichet peuvent continuer de s’extasier sur la transparence de l’eau : les forêts d’algues et les galets glissent sous les kayaks à la vitesse d’un tapis roulant à en donner le tournis! Certains s’abstiennent de regarder de crainte d’être aspirés par ce manège. Et pas question de lambiner sous peine de finir “à dreuz”.
Dap peut être fier de sa troupe : tous les bacs sont parfaitement réussis et les objectifs atteints sans avoir recours aux positions de repli. On s’extasie même, dans une accalmie, devant de véritables “sapins de Noël” : des algues constellées de minuscules coquillages roses tout brillants, qui se balancent doucement dans l’eau limpide.

Et voilà! On atteint la plage du pique-nique sur Bannec largement dans les temps. Le paysage est différent, les rochers plus aigus, déchiquetés. Impression de solitude, d’isolement, d’une beauté sauvage, authentique, qui semble à chaque instant renouvelée dans les jeux de la lumière glissant sur ces paysages. Le passage de la navette d’Ouessant a quelque chose d’irréel, d’incongru, de déplacé et pour tout dire, de lointain. Nos voyageurs glisseraient-ils tout doucement dans une autre dimension?

Les kayaks bien posés sur les cailloux (rien à craindre, la mer descend), et leurs “moteurs” occupés à faire le plein, je m’éloigne pour ne pas écorcher mes nageoires sur les cailloux bien acérés : rien à voir avec les jolis galets ronds et lisses de Béniguet (Béniguette vous dis-je!). De la mer, la plage semble posée dans une crique rétrécie et gardée par des sentinelles rocheuses couronnées de vols d’oiseaux. Une petite maison déserte posée sur la dune comme un jouet oublié constitue le seul rappel de la civilisation. Le ciel est d’un gris pâle et, tandis que les voyageurs se reposent, des trouées de bleu commencent à apparaître. Et puis soudain c’est la surprise, le ciel s’ouvre, devient d’un bleu profond et le soleil resplendit. Les couleurs deviennent plus intenses et la mer se nuance de reflets de pierres précieuses, turquoise, émeraude, saphir..., soulignés par le chevelu brun des algues et l’ocre gris des rochers. Magie de l’instant. Les Veilleurs d’Ouessant nous signifieraient-ils notre laissez-passer ?

Vaisselle au sable et à l’eau de mer, rangement, remise des jupes et des gilets et petit portage pour remettre les kayaks à l’eau. Comme on a le temps il y a un petit supplément au programme: le tour de Bannec pour voir les roches cyclopéennes que les tempêtes lancent au sommet des rochers. Eh oui, ici la mer en ses colères joue à “Volez, balles!” avec des “cailloux” de plusieurs tonnes ! Mais non, ce n’est pas une blague : les scores sont authentifiés par des photos prises à différents époques.

En silence on salue la performance et la puissance de cette eau qui, sur la côte Est de l’île, est aujourd'hui lisse comme un tissu satiné.... qui commence à gondoler quand on passe à l’Ouest. Là-bas au nord le phare de Kéréon nous fait signe et on l’atteint en progressant contre le courant puis on se glisse dans le contre. Les appareils photos immortalisent l’instant.

Prochain objectif : Ouessant, étalée sur toute sa longueur à m’en écarquiller les yeux, de la Jument, petit point sur l’horizon sud, au Stiff, à la pointe nord, dont les Rigolos prennent le sémaphore pour cap afin de ne pas se laisser entraîner par le courant.... et rater l’île ! Une demi-heure pour traverser alors ça s’agite des pagaies! Moi je suis, cool derrière: mes nageoires ne m’ont jamais trahie.
Le groupe s’ouvre en éventail, certains tenant trop bien leur cap. Gilles et Framboise sont loin devant, et comme la mer se creuse, le peloton les perd de vue. Heureusement ils guettent la progression des autres et s’en rapprochent en recalant leur direction sur la Jument. Les kayaks dansent sur le Fromveur, leurs cavaliers s’encouragent mutuellement. Je tiens discrètement compagnie à Jean-Luc qui, à l’arrière-garde et hors de vue, ne se sent pas très rassuré.
Ouf, ça y est, passage réussi, et à l’endroit. Ce n’était vraiment pas le moment ni le lieu de mesurer la température de l’eau.

L’avant-garde a atteint l’île et progresse en regardant le paysage et en faisant du rase-cailloux. Rien à voir avec une arrivée avec la navette. En kayak (ou en otarie...) on peut raser l’île qui nous domine de toute sa hauteur et déroule ses falaises, ses criques, ses plages, avec force et retenue. Quelques groupes de maisons, puis plus rien : la pointe Sud est sauvage et déserte, passages rocheux et arches de pierre.
Le groupe se rassemble, Dap filme. La Jument est à portée de pagaie mais on oblique vers Nividic et ses colonnes étranges ourlées de belles déferlantes. Il faut se méfier des “patates”, ces rochers affleurants. Le Créac’h domine un paysage déchiqueté de sa silhouette à rayures blanches et bleues, genre pull-marin, géant, entourée de monstres pétrifiés. On imagine les lieux par jours de tempête... Sur la dune quelques promeneurs assistent à notre arrivée.

Entrée victorieuse dans la baie de Lampaul, un arc de cercle peuplé de petites maisons qui s’étalent, bien concentrées au pied du clocher et de plus en plus rares en s’en éloignant. Un gros rocher creusé d’une grotte marque le milieu de la baie. Le groupe se scinde : trois rallient la plage de Porz-Goret (Porz-Gorette!), lieu du bivouac, dans le but non avoué d’une petite sieste réparatrice. Les autres continuent et abordent dans le petit port au pied de l’église. Il est 15h, la renverse a eu lieu et il leur faut hisser les kayaks hors de portée de la montante. Cailloux aigus et glissants couverts d’algues...Je me cache derrière un bateau pendant que mes compagnons font un petit passage à la supérette pour acheter de l’eau et du poisson (si je n’étais pas voyageuse clandestine ils auraient pu me demander, je leur en aurais fourni moi du beau poisson bien frais et pas du congelé! Si c’est pas malheureux de voir ça....). Les voici au bar qui domine les kayaks qu'ils peuvent surveiller en faisant quelques pas. La terrasse est pleine de monde et il faut un certain détachement pour y circuler en tenue de kayakiste défraîchi. Il fait beau et chaud, ça donne soif, mais Framboise ne verra jamais venir la glace demandée à plusieurs reprises.

Il est temps de repartir, la mer atteint les kayaks et j’allais être obligée de m’en mêler. Des curieux observent l’embarquement. Jean-Luc passe sa pagaie bois groenlandaise à Framboise.... qui manque de se retourner à la première tentative. Un coup de genou redresse le kayak et empêche la baignade. On sait qu'elle aime l’eau mais en public faut savoir se tenir.

Arrivée à Porz-Goret au milieu de paquets d’algues, des fucus et leurs flotteurs en forme de grosses perles, qui recouvrent et rendent glissant de gros cailloux à s’en fouler les nageoires. On commence par mettre les kayaks hors de portée de la montante, puis Dap décide qu'il faut les monter sur la dune. Et là j’assiste au portage le plus casse-g... de la rando.

Par groupes de quatre au moins, nos voyageurs se saisissent d’un kayak, se tordent les pieds et progressent péniblement sur l'estran. Parfois l’un deux glisse et se retrouve par-terre, tandis que les autres empêchent le kayak de s’écraser au sol. Il faut grimper sur la dune, aidés par un cinquième qui se saisit de la proue pour soulager l’alpiniste de tête. Quelques mètres encore sur un chemin de terre et voici le kayak posé sur un sol qui parait bien doux à sa coque après l’atterrissage sur cette plage. Et d’un, et de deux, et de trois.... et de neuf... Rémi a attaché son kayak en polyeth au pied de la dune à un anneau de fer fixé sur un rocher qui garantit toute tentative d’évasion (des fois qu'il en ait marre ce kayak de cette rando...)

17h ont sonné au clocher de Lampaul. Les plus courageux vont se baigner. Difficile d’atteindre l’eau, il faut franchir le barrage d’algues. Toilette au savon marin. Des promeneurs observent les activités de ces Rigolos qui déballent leurs affaires dans un joyeux désordre, montent les tentes et répandent leurs équipements mouillés sur leurs drôles de totems (il y eut bien encore quelques chavirages de vêtements, jupes, gilets, par-terre...).
Le tarp de Dap accueille le groupe pour l’apéro et le briefing. Mais pas de table, ni de bancs cette fois. Les randonautes novices apprennent à leurs dépens qu'il vaut mieux se munir d’un trépied, parce que ça suffit bien de jouer les culs-de-jatte en mer, mais sur terre c’est lassant et on a vite les fesses mouillées et des fourmillements dans les jambes.
Moi qui n’ai pas ce problème j’observe le paysage, bien planquée derrière une haie de bruyère (j’ai failli être découverte par d’aucuns qui cherchaent les toilettes...). Hum, on dirait que le temps va changer. Le sentier fait le dos rond en serpentant vers Lampaul, flirtant avec un gros rocher pointu dressé sur l’herbe rase, qui marque la limite nord de Porz-Goret. Les champs où se dressent les tentes s’étirent de la dune à quelques maisons. La lande, douce et fleurie, teintée de roses et de mauves, coupée de haies de fougères et de bruyères mêlées, s’aplatit en chemins qui relient les maisons à la dune et plus au sud à une plage de sable et à une arche de pierre. Le bivouac est dans l’alignement du Créac’h et du gros rocher du milieu de la baie. Enfin, il m’a semblé, car tout à coup la brume a tout recouvert. On ne voit plus les maisons ni la mer. Les voyageurs se restaurent (riz et poisson, quel fumet! bravo Dap!) dans cette atmosphère irréelle avec le sentiment d’être coupés du monde. Le temps est rythmé par la corne de brume. Bouououh... Puis le rideau se déchire, la lumière revient... jusqu'au retour de la brume, par vagues.

Il faut renoncer à la balade du soir: obscurité + brume= danger sur ces rivages déchiquetés. Alors au dodo : demain c’est lever à 6 heures.

Dans la nuit, le Créach balaie les tentes de son faisceau, le Nividic, la Jument, se joignent à cette symphonie de lumière. Les étoiles scintillent dans un ciel magnifique mais, entre brume et sommeil, bien peu les contempleront.


J3 : Ouessant-Le Conquet

Phare de Kéréon
C’est quoi ce raffut ? Ah oui, après une nuit paisible, voilà les Rigolos levés aux aurores : 6h... Oh la la, mes yeux sont embrumés comme le ciel. Rituel matinal déjà rodé : ptit-déj, rangement, habillage, portage. Heureusement la mer est haute, ça évite quelques entorses. On glisse dans la baie de Lampaul le long de la pointe Sud qu'il faut contourner. Plein de passes, et de “patates” à éviter. Ça s’agite... Le Créac’h, le Nividic puis la Jument, nous saluent.
Au milieu d’une passe une série de déferlante scélérate met deux kayaks à l’envers. Pas de chance, leur Sainte commune devait regarder ailleurs à ce moment.... Heureusement que je suis là ! Avant chavirage j’en ai saisi un par la poupe pour l’empêcher de se fracasser sur un rocher, sur lequel il se contente de s’échouer, la proue dressée vers le ciel. Sa cavalière est en équilibre instable et n’arrive pas à décrocher malgré des coups de pagaie désespérés. Une autre vague la prend de travers et la fait basculer lentement. Plouf... Intervention du Chevalier pendant que d’autres récupèrent sa camarade. L’Homme du Sud a eu peur en voyant le kayak qui le précédait partir comme une fusée droit sur le rocher et a failli à son tour goûter à la baignade.
Zut, j’ai été repérée: j’ai perdu dans la bagarre mon joli camouflage. Heureusement ces ignares m’ont prise pour un phoque. Je voulais seulement rendre une assiette à sa propriétaire. Tant pis, je m’en ferai un joli chapeau, genre auréole. Après tout, j’ai fait mieux que la Sainte des deux baigneuses.
Sur la dune des lapins rigolent et un pêcheur -bien élevé, lui- fait semblant d’avoir rien vu. Pas plus de peur que de mal. Une plage accueille les naufragées pour un changement de tenue. Gilles se dévoue pour qu'elles y posent pied et en repartent sans encombre. C’est beau la galanterie.

Dommage de quitter si vite Ouessant, J’essaie de m’en remplir les yeux, la tête, le coeur, la mémoire, tout. Ensorcelante cette île. D’ailleurs j’ai du mal à reconnaître les paysages d’hier. L’effet marche-arrière sans doute, et la lumière douce de ce petit matin. J’en aurais bien fait le tour, tranquille, à visiter toutes les criques, me réchauffer sur toutes les plages, contempler tous les oiseaux, m'enivrer de ses couleurs, et me faire des copains avec les phoques du coin, parait qu'il y en a plein au nord, du côté de l’île Keller. Tu parles d’une balade, même pas le temps d’aller voir le Stiff, d’approcher le Créac’h, la pointe de Pern et ses monstres de pierre, de poser sous l’arche de la pointe sud, en forme de coeur. Une photo qui aurait fait un tabac : enfoncé la gardien de la Jument et sa déferlante! Moi qui ai toujours rêvé d’être une star. J’aurais bien, barbotant le ventre en l’air, joué à deviner quel animal s’est fait pétrifier par un sorcier colérique et rancunier car enfin, depuis le temps, de mémoire d’otarie, qu'ils jouent aux Beaux-en-l’île-dormants en attendant sans doute qu'une charmante sirène vienne les réveiller. Tiens, peut-être qu'il faudrait que je fasse passer le message. Et puis la Jument là-bas, hein, passer si près et ne pas s’en approcher.
Rêvons, rêvons, paraît que c’est pas toujours une sinécure le tour de l’île, n’est ce pas Nicolas ?

Aujourd'hui le Fromveur est lisse comme un miroir, mais faut pas s’y tromper : sans bouger une nageoire on avance. Heureusement car les Rigolos m’ont l’air un peu contemplatifs ce matin et mous de la pagaie. Allez, faut se bouger. Cap sur Kéréon au pied duquel on se donne rendez-vous. Le groupe s’étire loin derrière Dap. Ca me paraît pas une bonne idée de batifoler dans le Fromveur et j’essaie d’en avertir les traînards mais ils ne savent que crier “phoque, phoque”. Ah! Les problèmes de communication... Et vas-y que je te prends en photo, la main sur le phare.

Que se passe-t-il? Dap fonce seul droit devant sans marquer le rendez-vous. Il a senti la renverse, arrivée plus tôt que prévue : un problème avec les références des horaires de marée. Plutôt que d’attendre les retardataires il marque l’urgence de se sortir de là avant que le courant devienne infranchissable.
Les pagaies s’agitent, mes nageoires aussi, c’est qu'ils foncent maintenant ! Ouf, la barre est franchie et on se regroupe, c’était moins une, ou plutôt moins dix: dix minutes plus tard on ne passait plus et c’était, hop, retour à la case départ. Compte-tenu du retard sur la marée, Dap décide d’un changement de cap et on repart.
Mais voici qu'apparaît à tribord la vedette d’Ouessant. Katell donne l’alerte: lors d’une précédente sortie elle a surgi de la brume un peu trop près, ça ne s’oublie pas. Cette fois elle semble vouloir passer derrière nous mais, pour atteindre le port du Stiff, elle incurve sa trajectoire visant alors le milieu du groupe.

Énergiques coups de pagaie en arrière pour les plus menacés, pendant que je gare mes nageoires. Nous a-t-elle vus ? Elle passe finalement devant Dap qui met ensuite le cap à l’Est.
De bacs en bacs, passant au nord de Bennec et Banalec, on oblique vers le sud de Ledenez-Molène. Une plage nous accueille. Une antenne et quelques baraques désertes occupent l’île. Molène, de l’autre côté de la dune est toute proche. Il n’est pas encore midi mais comme le petit-déjeuner est loin, le “taboulé magique” que Dap a concocté est vivement apprécié. J’en remplirais bien mon assiette...

Profitant des dernières heures de la descendante on repart. Le taboulé a de curieux effets : Katell est boostée, Nicolas dans le cirage (cirage noir, complètement noir, me demande-t-il de préciser. Normal :couleur néoprène, mais je savais pas qu'il cirait ses chaussons). Passage au nord de Quéménes, puis de Morgol. On traverse le chenal du Four en visant les éoliennes du continent pour ne pas se laisser emporter par le courant. Les rescapés de la traversée rock n’ roll n’en reviennent pas : on en est à espérer le sillage de quelques bateaux pour avoir des vagues. On passe au sud de la Grande Vignotière étrangement sereine cette fois, on ne sent même pas les hauts-fonds. Décor de carte postale : le vieux cotre La Belle Etoile de Camaret avec Le Conquet en arrière-plan sur calme plat et ciel bleu.
Ouïe! J’ai eu chaud, tu parles d’une carte postale, un piège oui, j’ai failli m’emmêler les nageoires dans leur filet. Heureusement que Dap a crié. Merci ô Grand Druide et noble Chevalier. Au mieux j’aurais fini à Océanopolis comme curiosité, au pire...

Cap sur Porz-Liogan. Les plus curieux (ou les plus gourmands?) accompagnent Jean-Luc qui, hélas, ne retrouve pas son palangre. Sans doute arraché par les chaluts qui passent à fond les moteurs sans tenir compte de rien ni de personne. Pas de chance pour la pêche en kayak. Je m’assurerai plus tard que Polo et ses sujets ne sont pour rien dans cette disparition.
Atterrissage à 14h30 devant des estivants curieux, voire questionneurs et admiratifs qui se rôtissent au soleil. Portage... On étale sur les rochers, sur les kayaks et où on peut les affaires mouillées. Cette fois ça va sécher. Bref, on s’étale... Minute crème solaire pour les plus prévoyants. Baignade pour quelques-uns, repos et bronzage pour tous, sauf pour Dap qui part au ravitaillement. Je comprends pas très bien : chez nous, les chefs, ils envoient les autres faire les corvées.
Retrouvailles familiales pour certains et visite de Jacqueline invitée à rejoindre le groupe samedi à la baie des Trépassés pour la dernière étape. Histoire de jouer à “ils partirent à dix, et par un prompt renfort, ils se virent à onze en arrivant au port”, et de faire un pied de nez aux parieurs ! D’ailleurs, ceux qui avaient prévu un jour de repos et de sauter une étape, optent pour la solidarité et la cohésion. Cornélien non?
Les Bipèdes semblent apprécier la simple présence des WC chimiques en bas du parking. Confort relatif mais confort quand même. Ils se débarrassent des choses jugées superflues dans leurs voitures dont certaines partent pour Brest : leurs passagers rêvent d’une douche au Moulin-Blanc. Après trois jours de mer et de bivouac c’est du bonheur en barre. Les autres n’ont pas envie de retrouver la civilisation.

En soirée je reviens d’une visite à mon cousin à qui j’ai raconté mes aventures. Je lui ai confié mon assiette : pas le temps de faire la modiste avec ces enragés de la pagaie. La plage désertée, ils ont monté les tentes. Pas facile sur le sable. Les kayaks servent d’arrimage aux tendeurs et les sardines sont coincées sous des pierres d’ailleurs bizarrement rares ici.
Tout ça rappelle des souvenirs à Katell qui campa là dans sa jeunesse et en famille. Photos donc. Apéro, repas, dodo.

Des braillards gueulent en allemand en pleine nuit, les réveillés s’inquiètent pour les kayaks, mais les perturbateurs ne s’approchent pas. On se rendort.... Chut....


J4 : Le Conquet-Morgat

Ce matin c’est presque une grass’mat’ on dirait. Les Rigolos sont à peine levés quand je rentre, un peu avant 8h, de ma pêche matinale. Ils sont, après le petit-déj, quelque peu crépis de sable mouillé (surtout ceux qu'ont pas de pliant hi, hi) et, après rangement, l’emplacement des tentes laisse des rectangles de sable sec.
Cool ce matin, on attend de partir vers 10h, peu avant la renverse, pour profiter ensuite du tapis roulant de la descendante. Mais habitués à booster au petit matin, voici mes compagnons embarqués à 9h30. J’y crois pas! On peut même plus digérer tranquille et se sécher tranquillement la fourrure. Même l’intermède de Rémi sur le thème “où est donc passé mon sac étanche avec mes vêtements de rechange” (regard circulaire et inquisiteur: tous ont le même fournisseur de sacs étanches à vide d’air; et même les Allemands éméchés ont du se sentir visés, de loin) ne les a pas ralentis. Bon, d’accord, on y va.

Le kayak de Dap a changé d’allure, voyons... Ah! oui, il manque sur le pont arrière les espèces de bouées sur lesquelles il le posait, à terre, pour le déplacer (peut-être qu'à terre un kayak risque la noyade?).
Dommage, ça aurait pu faire des flotteurs. “Chariot remballé” commente-t-il aux petits malins qui ont récupéré des sangles dans les voitures pour les prochains portages. Mais il a toujours la caméra sur le pont avant.
Phare de la Pointe Saint Mathieu

Tiens, ça n’appuie pas trop sur les pagaies. C’est cool-Raoul-relax-Max jusqu'à la pointe St Mathieu. Admirons donc le paysage, pour une fois que ça ne secoue pas trop dans les parages.
Magnifique et grandiose la pointe St-Mathieu vue d’en bas. Le monument aux morts, l’abbaye en ruine, le phare.... L’endroit impose le silence et fait sortir les appareils photos. Mais faudrait quand même pas trop lâcher les pagaies, d’autant que certains tout à coup semblent avoir pris le mors aux dents.
On aperçoit là-bas la pointe de Bertheaume mais on glisse doucement vers le large. Il est 10h, c’est la renverse. Allons, soyons fous, la mer est belle, les pagayeurs aguerris et la presqu'île de Crozon nous fait de l’oeil. Laissons Brest à son goulet, ignorons la presqu'île de Plougastel et visons Pen-Hir et Les Tas de Pois, tout schuss et en direct.
On croise quelques bateaux de la marine. Quelqu'un crie “là-bas, le Mont-St-Michel” ! Des naïfs, ignorant la géographie, s’extasient. Quelle luminosité, quelle visibilité aujourd'hui! Tiens donc, à force d’être désensablé, le célèbre Mont aurait-il largué ses amarres et décidé de redevenir breton ? Hé non, ce n’est qu'un navire nous présentant son plus beau profil.

Pagayons, pagayons, (eh! moi je nage...) ce qui n’empêche ni de causer ni de rire. Le rire de Sylvie glisse sur l’eau, ondule, cascade, rebondit, puissant et rassembleur : tant qu'on l’entend on est sûr d’être à portée de voix.
On dirait que les compas ne sont pas d’accord : certains glissent vers l’est avec Dap et d’autres, à l’écart et à l’avant-garde, gardent le cap au compas et Pen-Hir en figure de proue. C’est vrai que Dap trimballe les gamelles et que son bateau, lourdement chargé, enfourne. Laissons donc Pen-Hir un peu à tribord. Comme ça on peut contempler au passage, posées sur la falaise, une croix de Lorraine et les ruines de la Maison du poète Saint-Pol-Roux.
Un joli contre-courant freine l’avant-garde derrière l’Aiguille, le Pois le plus près de la pointe, impressionnant d’ailleurs en contre-plongée. Quelques petites déferlantes se glissent dans la passe, au-delà c’est le calme de l’anse de Dinant (mais non, on n’a pas mis le cap sur le Mont-St-Michel) qui prolonge celle de Pen-Hir, où se balance tranquille La Belle Etoile dont les passagers nous ignorent superbement. Bêcheurs va !
Cap sur la première plage de Pen-Hir -sable, galets, falaise- déserte à souhait. La grande plage voisine est coiffée d’un bar-crêperie, d’un parking, et pleine de monde (enfin, presque), boudons-la.
Il est 12h30, heure du pique-nique qui sonne le milieu de la semaine de rando, déjà.... Salade du jour, et Framboise qui essaie de “vendre” le Ptit Brie qu'elle trimballe depuis quatre jours et qui tend petit à petit, surtout après affinage au soleil de Porz-Liogan, à s’aplatir et à s’élargir, façon colmatage de la trappe avant. Mais il y a concurrence avec les camemberts qui courent encore plus vite.
Conseil de mer : on est en avance sur le programme puisqu'on devait bivouaquer sur la plage de Goulien, toute proche, alors que fait-on ? Dap appelle ses potes du coin pour savoir où pourrait être le prochain bivouac. Ile de la Vierge près de Morgat.... Faut passer le Cap de la Chèvre et ce n’est pas tout près. Accord unanime de tous ces enragés de la pagaie. Moi, on ne m’a pas demandé mon avis. Mais je les aime bien ces fadas, alors...

Après le repas Dap et quelques autres se glissent le long de la falaise vers la plage voisine (merci à la marée descendante) pour un café et quelques douceurs civilisatrices. Pendant ce temps, à la lisière du sable (pour matelas) et des galets (pour oreillers), certains s’abandonnent à une petite sieste réparatrice. Qui a failli être destructrice. Car il tombe de gros cailloux à quelques centimètres des têtes des dormeurs, et ploc, un kayak est atteint. Pas de dégâts, mais des crétins qui, en haut de la falaise, essaient de se cacher. Nicolas se fâche. Dommage, personne n’a eu le réflexe d’appeler Dap (si réseau..) qui les aurait pris à revers, histoire de leur expliquer les bonnes manières. Si un jour nous sommes officiellement présentés, il faudra que j’apprenne à mes compagnons à dormir en mer, c’est moins risqué.

Ré-embarquement. Le cap de la Chèvre se profile à l’horizon mais, histoire de s’amuser un peu, on vise la pointe de Dinant et on suit la courbe de la côte pour flirter avec les déferlantes de la plage de La Palud, bien connue des surfeurs et autres cascadeurs en wave-ski. Flirt plus ou moins appuyé selon l’humeur et l’intrépidité de chacun. Dap danse sur les vagues, pagaie d’une main, caméra de l’autre. Chapeau l’acrobate! Passage sans encombre pour toute l’équipe et on continue, on continue....
Ici et là émergent des plongeurs, avec (les raisonnables) ou sans (les imprudents) bouée de repérage, que l‘on prend pour des phoques. Les plongeurs, pas les bouées. Enfin, pas encore. Car bientôt Katell crie: “un phoque, un phoque!” à chaque bouée rouge, verte, bleue, noire... Dap se moque : “Mais oui Katell, un phoque rouge, un phoque vert”. Fais pas le malin Dap, elle a pas tort à tous les coups, la blonde, je suis en train de renouveler mon camouflage et m’accorde quelques essayages.

Impressionnant les paysages. Falaises, falaises, grottes, grottes, falaises.. Et les couches géologiques, en feuilletages colorés gravement inclinés, où s’inscrivent les millénaires, l’érosion et les bouleversements sismiques. Allô Alain... on aurait bien besoin de tes lumières pour être ce soir un peu moins idiots.
Dommage pour la Grotte du Charivari, aux abords du Cap de la Chèvre, à sec à marée basse, et que l’on ne visitera donc pas. On passe le cap et sa chaussée de rochers et on remonte au nord-est par l’anse de St- Nicolas.
Voici les grottes de Morgat, invitation à l’exploration, mais pas assez d’eau. Bonjour les nids de cormorans accrochés aux falaises, aux linteaux des grottes, et les oiseaux à la parade. Passages sous des arches et entre des pans de roches. Magique.

C’est pas tout ça, les milles commencent à s‘accumuler. Encore un effort, les bateaux se font plus nombreux, on approche d’un port. Je risque une sortie, sourit à la kayakiste de tête “Copain, copain, viens, crie-t-elle”. Je prends la pose, le temps d’une photo, mais un indiscret s’approche, je plonge. Encore une pointe à passer, la dernière (qu'ils disent). Dap a filé devant, laissant la consigne de s’arrêter à la plage de St-Hernot dite de La Vierge, que certains connaissent bien. Lui va jusqu'à Morgat, pourvoir au ravitaillement, recharger sa caméra et dire bonjour aux copains.
On dépasse de jolies plages de sable, et on vise une plage de gros galets. On ne va pas s’arrêter là? Si, c’est la seule qui ne sera pas recouverte à marée haute. Pas large la plage, pentue et bordée d’une haute falaise qui la rend inaccessible par voie de terre.

Atterrissage, démonstration de portage avec sangles : une sangle à chaque bout, un porteur de chaque côté et à chaque extrémité, un de chaque côté de l’hiloire. A six, on court presque sur les galets (aïe les chevilles) et la pente avec un kayak chargé. Etalage des affaires mouillées sur des rochers gris et lisses comme des blocs d’aluminium. Les touristes qui longent la plage en vedette et les plaisanciers en voiliers contemplent un drôle de spectacle... Des kayakistes locaux passent, interpellent.

J’écoute de loin mais attentivement les leçons aux néophytes, faut bien se cultiver.
Donc leçon n°1 : ne pas rester et/ou installer sa tente au pied de la falaise, au risque de se prendre une pierre sur le coin de la figure.
Et puis d’abord, comment on installe une tente sur des galets? Leçon n°2 : Et bien, un galet de taille adéquate sert d’ancre à un tendeur ou à un élastique, le dit galet est placé dans un trou creusé au milieu de ses congénères et recouvert par ceux-ci. Pour les sardines incontournables, on les glisse entre les galets et on les recouvre d’autres galets. Un ptit trou, un ptit trou, encore un ptit trou.... Résultat garanti.

Leçon n° 3 : Pour rendre sa couche un peu moins inconfortable et l’égaliser, prendre un bidon, le remplir de petits cailloux bien ronds (trouver une mine des dits petits cailloux d’abord), attention c’est lourd, et verser dans les interstices. Comme le fait remarquer Sylvie, heureusement que l’on a rapporté plein de sable du précédent bivouac. Optimiste va.

 Résumons : on a une falaise, un espace raisonnable entre la falaise et les tentes, les kayaks près des tentes, parallèles à la mer, et la mer qui monte, qui monte jusqu'à lécher les kayaks. Alors où sont les toilettes ? Hum...

Dominique s’interroge sur le trajet parcouru, Framboise déballe ses cartes, un groupe se forme, on commente le parcours et on compte les milles : une vingtaine au premier regard. Pas mal... Katell note ses impressions en vue d’un compte-rendu.
Dap revient, il a oublié l’eau et en sera quitte pour un aller-retour demain matin. Il doit d’ailleurs récupérer sa caméra. Trois milles de plus en kayak, ça use, ça use... (bis) bien les bras...
Presque plus de gaz dans la bouteille non plus, faudra appeler à la rescousse Jacqueline qui doit nous rejoindre à la prochaine étape. Pour tenir jusqu'au petit déjeuner demain, Dap renonce à un repas mitonné (oublions, oublions, pensent les affamés....) trop consommateur de gaz. Repas de nouilles chinoises lyophilisées : juste un peu d’eau à chauffer...

Le coucher de soleil crée de drôles d’effets de lumière. Là-bas un voilier passe, voile éclatante comme un soleil sur fond gris. D’autres voiliers sont à l’ancre tout près, ce qui complique encore certains problèmes...mais il fait bientôt nuit.

Matelas auto-gonflants posés, on ne sent pas trop les galets, on va dormir... Mais...bruit assourdissant, proche et prolongé. Un hélico ! A-t-il décidé de se poser sur les tentes ? ou de s’offrir la falaise ? Ouf, il s’éloigne.

La nuit, sous les tentes, certains font de la varappe : dans la pente les sacs de couchage glissent sur les matelas. Pas pensé à s’encorder!


J5: Morgat-Baie des Trépassés

Dur d’être le Chef des Rigolos. Du coin de plage où j’ai passé la nuit derrière un rocher, je vois Dap, premier levé, qui vide son kayak au petit matin pour le porter à flot et partir chercher sa caméra, de l’eau et du pain. Il fait beau. Quelques-uns sont réveillés car marcher sur les galets vaut réveil-matin; les autres...ont des boules-Quiès.
On peut traîner un peu, le départ est prévu pour 10H30, il faut attendre le retour de Dap qui s’offre un échauffement de 3 milles par dévouement chevaleresque.
Pour préparer le petit-déjeuner je les entends faire l’appel des dernières bouteilles d’eau, qu'ils essorent dans la marmite commune sur les derniers soupirs de la bouteille de gaz. Je crois bien aussi qu'il ne reste plus que des crêpes à manger. Ascétique la rando!
C’est alors qu'ils s’aperçoivent... que Dap a oublié la vache-à-eau ! Les pieds dans l’eau, le téléphone à la main, Framboise capte le réseau et prévient l’intéressé. Pas de panique, il reste quinze litres dans la douche solaire de Nicolas, on tiendra bien jusqu'au bar de la baie des Trépassés. Généreux, Nicolas remplit les poches-à-eau et bouteilles de ses camarades : ils ne mourront pas de soif la langue collée sur leur pagaie. Merci Nicolas!
Pointe du Van
Tout est remballé quand Dap apparaît un grand sac de pains au chocolat à la main. Quelle prévenance! Pour se faire pardonner dit-il. On se demande bien de quoi. Celui-là, s’il n’existait pas, faudrait qu'ils l’inventent les Rigolos!

Départ tranquille, on fera moins de milles qu'hier. On prend le temps, en repartant vers le Cap de la Chèvre de visiter à marée haute les grottes de Morgat. C’est pas large, alors je leur laisse la place : il y a risque de se racler le ventre ou la coque sur les rochers. Evidemment ça manque un peu de lumière mais ça n’en est pas moins grandiose. À un croisement de couloirs, le kayak de Jean-Luc grimpe sur celui de Sylvie, boum! Les voilà coincés sous l’oeil narquois de la caméra de Dap qui guette la chute. Mais une nageuse s’élance de la plage voisine pour venir en aide à ces touristes. Sacré Sylvie! Elle en profite pour faire haut et clair une déclaration à Jean-Luc... Aurait-elle la nostalgie des usages ouessantins ? Eh ben! (T’as enregistré Dap?)

Pendant que les protagonistes se démènent et se démêlent, je contemple la mer turquoise aux reflets changeants sur fond de falaises couronnées d’une lande éclatante de couleurs sous ses habits de bruyères en fleurs. Les verts, les roses, les mauves, les bruns, se mêlent en une éblouissante symphonie.

Bon, il est midi et on s’amuse, on s’amuse, mais il reste à traverser toute la baie de Douarnenez. Les estomacs encore calés par les pains au chocolat, les Rigolos se mettent d’accord pour une traversée apéritive. Moi je m’en fiche, je peux déjeuner en mer à toute heure, et d’aliments de première fraîcheur...
Cap au sud-ouest vers la pointe tout là-bas au-delà de laquelle se niche la baie des Trépassés. Et ça repart en éventail. Je joue discrètement le chien de troupeau: j’en ai déjà le cri.
Le rire de Sylvie s’éteint aux oreilles de l’avant et de l’arrière-garde : chacun voyage selon ses goûts et ses humeurs, dans les bavardages ou dans un silence contemplatif. La traversée de la baie manque un peu... de relief. Ennuyeux pour ces amphibiens qui ne voient rien de ce qui se passe sous leurs coques. Je dérange quelques bancs de poissons qui se mettent à sauter devant les kayaks. Des poissons volants en mer d’Iroise? Ces cavalcades attirent quelques oiseaux : goélands, fous de Bassan…

Aux abords de la côte, après un certain nombre de coups de pagaie, les premiers arrivés font des zig-zag à la recherche d’une plage, chose rare dans le paysage. Le peloton arrive plus à l’est que prévu, à la pointe de Brézellec, ça permet de faire du tourisme côtier.
14h, les estomacs crient famine. Regroupement, conciliabule. On croit trouver une plage pour la pause pique-nique derrière la prochaine pointe et on repart, mais non, rien d’accessible. Alors essayons la suivante, celle de la Baie des Trépassés promet Dap. Est-ce pour tenir sa troupe en haleine, ou par manque de familiarité avec les lieux?

De barres de céréales en gorgées d’eau, de coups de pagaie en pauses photos, nos voyageurs avancent en silence et vers les 15H dans ces paysages grandioses. Le mot qui vient à l’esprit est : puissance. On se sent tout petit dans ce chaos de roches, sur cette mer qui se plisse et déferle contre les falaises hérissées de rochers et creusées de grottes. Là-haut les couleurs estompées de l’herbe rase posent une note de douceur. Mer saphir avec des reflets de métal sous les humeurs d’un ciel changeant : quelle chance d’aborder cet endroit dans de telles conditions.

Voici la pointe du Van et ses géants de pierre, sévères Gardiens du Seuil-nord, qui nous toisent, nous jaugent et, après nous avoir un peu secoués, nous donnent droit de passage. La mer bruisse de mille présences, s’agite, rebondit contre les falaises : sont-ce les âmes des Trépassés qui hantent ces lieux? Elles semblent aujourd'hui apaisées, bienveillantes, voire accueillantes. Là-haut veille une petite chapelle…

Et puis là-bas, enfin, notre destination. Une plage dont les abords semblent calmes... de loin; de près, on se détrompe, et Dap se marre d’avance à l’idée des arrivées en shore-break, avec plein de milles dans les pagaies, les kayaks chargés à bloc et les estomacs vides. Qu’on lui laisse le temps d’aborder et de sortir sa caméra!
En avant pour le spectacle ! Jolies déferlantes, plein de surfeurs et de baigneurs, faut que je me planque pour ne pas voler la vedette à mes copains et pêcher mon repas tranquillement.
Dap aborde avec élégance, coup de sifflet de la SNSM pour dégager la scène. Voici, mesdames et messieurs, La Chevauchée fantastique. Un à un se présentent les acteurs avec, question de chance, derrière eux puis sous eux, de plus ou moins grosses déferlantes. Quatre, en enfourchant de belles, se dévouent pour le film et arrivent tête en bas, le nez dans le sable. Olé!

Il est 15h30. Portage... Longue et large est la plage, où l’estran s’étire jusqu'aux galets au pied d’une dune qui se gondole en cuvettes abritant hôtel, restaurant, bar et parkings. Tiens, la civilisation, telle qu'on l’avait oubliée. Mais il y a paraît-il des toilettes et même des lavabos: le grand luxe!
Nos artistes décorent la barrière au-delà des galets des affaires à sécher, jupes, gilets, blousons, et tous les vêtements humides qui traînent dans les caissons. Puis ils vont se baigner, se changent, et enfin se restaurent; déjeuner ou goûter?
Et les voilà écroulés sur le sable, pour une sieste au soleil bien méritée. Passe pendant cet entracte celui que l’on désignera sous le nom de “surfeur fou” et qui, ayant raté les premiers actes, déclare haut et fort devant ce spectacle : “le kayak c’est vraiment un sport de fainéants!”. Bien... après tous ces milles accumulés et cette étape non-stop, qui se lève pour lui casser la figure? Chuuuuut, on dort…

Les heures s’avancent, cap sur le bar de la Pointe du Van et sur l’apéro; de là-haut ils peuvent surveiller les kayaks et guetter l’arrivée de Jacqueline, que l’on repère vite avec son Excite S orange quand elle arrive sur le parking avec dans le coffre, ô bonheur, une bouteille de gaz et de l’eau.
Voici l’heure de monter les tentes; sable et galets = pas de problèmes. Les affaires n’ont pas vraiment séché : tout est poisseux de sel.
Un bon et solide repas chaud vient caler les estomacs. Quant à moi, il y a longtemps que, rassasiée, je me prélasse un peu à l’écart après avoir été jouer et bavarder avec des cousins de passage, auxquels j’ai raconté mon voyage.

Nuit pleine d’étoiles bercée par le grondement continu des déferlantes qui s’avancent jusqu'au ras des tentes. Pour moi une chouette thalasso, pour mes copains un nouveau moyen de tester le “sommeil du juste” ou les boules-Quiès..
On rêve à l’ultime étape et à la conquête de la dernière île...


J6 : Baie des Trépassés-Ile de Sein

Tiens, les Rigolos n’ont pas traîné ce matin: la mer montant au ras des kayaks et son bruit d’essoreuse a sonné le réveil. Ils se frottent les yeux et pensent, qu'à voir les déferlantes, ça va être sport le départ de plage... Au-delà, la mer semble calme donc ”il faut et il suffit”... de passer la barre en restant à l’endroit, et ensuite, comme on dit, ”ça devrait le faire”.
Ile de Sein

Magnifique le spectacle qui s’offre aux yeux éblouis au sortir des tentes : la baie sertie entre la Pointe du Raz et celle du Van, la mer haute qui déroule ses déferlantes en rouleaux gris-bleu ourlés d’écume sous un ciel estompé de brume. Et puis les phares là-bas que l’on devine: Tévennec, touchante maison blanche sur son rocher, et la Vieille, fière et sévère en sa tour sur le sien.
On se prépare tranquillement selon le rituel matinal: l’étape sera courte, 11 kms seulement, même pas la moitié de celle d’hier et un quart de celle d’avant-hier.
Le Raz-de-Sein, ses courants, sa Chaussée, ses hauts-fonds ont fort mauvaise réputation. “Qui voit Sein voit sa fin” dit le dicton, et ce nom de “Baie des Trépassés”, où les courants ramèneraient les noyés, en dit plus long encore.
Mais aujourd'hui c’est mortes-eaux avec un coeff de 45, pas de quoi se courbaturer les nageoires. Et puis les dieux sont avec nous: c’est quasiment le calme plat. La fin programmée, pour nos pagayeurs, c’est celle de la rando ! Sein: dernière étape avant retour.

Vers 9h30 on est sur le départ. Moi je me balance sur la barre, me préparant à suivre le convoi. Pas simple pour eux de me rejoindre secs! Dès que les kayaks sont à l’eau, une vague risque de les remplir et de les rejeter à la plage avant que leur pilote ait le temps d’embarquer et de mettre sa jupe. Ensuite il faut essayer de passer entre les séries de déferlantes qui sont hautes et puissantes au point de déséquilibrer cavalier et monture. Pour l’embarquement les premiers sont aidés par les suivants, ensuite à Dieu-va.
Tant pis pour le cameraman, tout le monde passe la barre avec brio en forçant sur les pagaies, mais les moins chanceux, qui ont affronté les plus grosses vagues, sont trempés jusqu'au chapeau. Sprint au départ plus douches toniques et revigorantes, les voici bien réveillés!!!
Le moniteur, lui, est fier de ses élèves : un départ de plage bien propre, bien réussi.
On longe la Pointe du Raz et on s’en va saluer la Vieille, une dame-phare un peu guindée posée sur un lac presque lisse, qui se laisse aborder, toucher. Incroyable.

C’est la bascule qui donne le signal de la traversée. Il s’agit de faire un grand bac, c’est à dire viser le phare à droite, et rendez-vous au port, pour ne pas risquer que le courant nous déporte au-delà de la pointe sud à gauche. Sinon après c’est l’aventure. L’île est posée comme un trait de fusain sur l’horizon avec, en figure de proue, le trait blanc de son phare dont on craint un moment qu'il ne disparaisse dans la brume. Mais les dieux veillent, et Merzhin aussi.
Alors c’est parti, et le groupe s’ouvre en éventail comme d’habitude, faudra se mettre d’accord une bonne fois sur le sens des mots droite et gauche, j’en ai marre de faire chien de berger: depuis que j’ai sauvé, à Ouessant, un bateau et une assiette, je me sens des responsabilités envers ces aventuriers d’Iroise.
On glisse sans encombre sur une mer lisse, et puis il y a comme une frissonnement de l’eau, bien visible, bien limité, qui donne tout à coup l’impression de ne plus avancer, des hauts-fonds sans doute.
Jacqueline et Framboise font équipe au nord avec un des Indiens mais, aux abords du chenal, des navettes sortent du port et Jacqueline, pour s’en dégager, oblique brutalement vers le sud et suit l’Indien vers le gros du groupe. Framboise suit sereinement sa route au ras du chenal, faudrait savoir que sur une si petite île il y a trois ports ! Bon, celle-là vaut mieux que je l’accompagne.

L’île se dessine tout doucement, rien à voir avec Ouessant, elle est beaucoup plus petite, basse sur l’eau et paraît très habitée. De près, Sein apparaît toute pimpante, avec ses petites maisons colorées alignées le long de ses flancs découpés qui s’étirent en arrondis, sa digue et ses jolis bateaux.
N’en déplaise aux parieurs, les vainqueurs du rallye Molène-Ouessant-Sein sont en vue de la cale sud pendant que la pagayeuse solitaire, obliquant vers eux, arrive tranquillement face à l’église, juste au moment où en sortent procession et bannières qui s’arrêtent face à la mer. Sur l’eau glissent les chants particuliers à ce jour: c’est le 15 août, la Sainte-Marie et la bénédiction de la mer. Tout un symbole.
Longer Sein est un délice pour les yeux auquel participe les bateaux aux amarres et d’autres qui prennent doucement le large. Ici le temps semble arrêté. Un spectacle intemporel.

Il est presque 11h30, le groupe s’est reconstitué, sauf Jacqueline qui a débarqué on ne sait où et que l’on retrouvera plus tard. On a laissé à droite la mairie et la criée, et on atterrit au plus près du camping. Pas facile pour moi tout ce monde, heureusement il y a là une jolie collection de corps-morts, entre les bateaux et sous ces déguisements, ou avec une perruque d’algues, je peux continuer mon reportage.
A peine dépliés, nos Rigolos s’étalent... Le muret sert de séchoir et la cale de pause pique-nique. Les touristes et les autochtones regardent, questionnent, s’étonnent, admiratifs. Eh oui, on a relié en six jours les trois îles mythiques d’Iroise! Les héros réalisent à peine, oubliés les efforts, après tout ce n’était pas si difficile. Quand même, faut le faire.
Un enfant demande : “Vos jambes, elles sont bien dans les kayaks?”... Sûr que chacun pense tout bas : “Non, on les laisse à la consigne”, mais ne le dit pas.

Dap est parti à la recherche du maire qui lui a donné rendez-vous, un quinze août tu parles. Introuvable l’élu. Isabelle, une familière de l’île et charmante grand-mère veillant sur de jeunes pataugeurs, donne son blanc-seing. Nos héros vident les kayaks et prennent la direction du camping. Pas facile pour moi de les suivre, heureusement le chemin longe la rive ouest de l’île, j’en suis quitte pour quelques contorsions, quel métier ! Ça un camping? Ca a des airs de dépotoir... mais le mérite d’exister. Evidemment il n’y a aucune “commodité”. Difficile de se trouver une place et beaucoup choisissent le milieu, plus plat. Erreur...

Montage des tentes, et on décide, pourquoi pas, d’aller saluer Ar Men là-bas à l’ouest et que l’on voit à peine. A combien de distance ? Impossible de le savoir, il n’est pas sur la carte. Quelle hauteur ? On pourrait calculer (vite, retrouver la formule...), on sait pas non plus (ouf!). Hum..., vaudrait mieux se méfier, il est presque 15 heures. Mais, rappelle Rémi, “tout ce qu'on voit avec les yeux n’est pas loin”. T’es sûr?

Les kayaks allégés, on part vers le nord de l’île et son phare. On navigue sur calme plat dans une belle lumière et de magnifiques paysages marins semés de rochers. Au loin, Ar-Men, petit point flou sur l’horizon, et Tévennec, bien net sur le satin bleu de la mer.
Tout à coup des ailerons, “dauphins” crie-t-on. Les voici qui se mettent à sauter, jouer, tout en poursuivant leur chemin. Le groupe se scinde en deux. Le premier, qui les poursuit, a la chance de voir les dauphins se rapproche, si près que l’on voit les dessins de leur peau, et jouer avec les kayaks, Sauts, pirouettes se succèdent comme un ballet. La caméra tombe en panne de batterie; pas de chance. Le second groupe a rencontré des cousins à moi et leur fait la conversation, pendant que je vais des uns aux autres sous ma perruque “haricots de mer”. J’en aurai fait des milles!
Enfin les deux groupes fusionnent pour continuer le tour de l’île, car le temps a passé et aller à Ar-Men semble imprudent. On apprendra le lendemain qu'il est à 11 kms, et, quand on y est, faut en revenir. Rémi, c’est quoi “loin” ? Merci les dauphins.
Joli le tour de l’île, mais pas bien long. Pendant que je fais la planche, face au large, les Rigolos abordent de nouveau la cale, hissent les kayaks sur la route et les alignent deux par deux contre la digue, sur le flanc, totalement dépouillés de leur accastillage. Ici la nuit du 15 août est prétexte à beuverie et dégradations et, après tous ces milles, mieux vaut éviter de tenter le diable qui pourrait bien être énervé par l’eau bénite de ce matin. Pas envie de rentrer avec la navette!

Le goûter traîne vers l’apéro. Douches municipales là-bas sur le quai (chaudes, très chaudes) ou toilette sommaire, vêtements sortis des sacs, et voici nos Bipèdes tout à fait présentables. Ce faisant ils assistent aux bruyantes prouesses de leurs voisins qui cassent des palettes pour préparer un feu. Prudent, Jean-Luc planque ses pagaies bois sous son tapis de sol; on ne sait jamais. D’autres dormiront cette nuit près de leur pagaie, comme en d’autres temps les chevaliers et leurs épées: parés à toute éventualité. Des fois que la mer monte plus haut que prévu?
Dap a fait les comptes et réservé sur le port une table pour régaler son équipage. Assis sur la digue face au restau les premiers arrivés attendent les retardataires. Les quais sont pleins de monde : 2000 personnes sur l’île en ce moment contre 100 en hiver.
Les traînards arrivent après avoir tenté, en vain, de se perdre dans ce microcosme et ces ruelles filiformes qui serpentent et s’emmêlent entre les maisons et où ne passerait pas une voiture; d’ailleurs il n’y en pas sur l’île.

Framboise, par un heureux hasard, a retrouvé devant ce restau des amis. Ils proposent une charrette pour transporter le lendemain tout le matériel du camping aux kayaks et, pour la prochaine rando, un coin plus accueillant que le camping. Super, on reviendra.
Zut, on est tombé sur le seul restau breton qui ignore le beurre salé !!!! En réponse aux convives étonnés, le serveur, fils de la maison, apporte une salière avec quelque arrogance. Le repas, de toute évidence, a été préparé par Picard et Findus. Compris, là on ne reviendra pas. Faudrait pas prendre les continentaux pour des poires.

Le repas se traîne, on est bien au bord de l’eau. Rares sont ceux qui regagnent les tentes avant le feu d’artifice tiré du port et dont les lumières se reflètent sur la mer en bouquets somptueux. Cela ferait-il partie du comité d’accueil réservé à nos héros? Allons, soyons modestes.
C’est l’heure de se coucher. Moi je suis peinarde sur l’estran, et j’en connais qui regrettent vite d’avoir planté leur tente au milieu du camping. Des fêtards les bousculent, s’emmêlent les pieds dans celle de Jacqueline et la baptise “grosse verrue”; elle est pourtant minuscule cette tente.
Un braillard, carburant à l’alcool, s’est mis en tête de sonoriser le camping toute la nuit. Décidément, faudra se faire sponsoriser par Quiès

Dernière nuit en plein air avant retour sur le continent. La météo annonce un changement de temps...


J7 : Sein-Baie des Trépassés-Le Tour du M’

J’ai à peine le temps de rentrer de ma balade matinale que je vois, en me tordant le cou, tous les Rigolos levés. Beaucoup ont des cernes sous les yeux et peu d’heures de sommeil derrière eux. Merci le braillard ! Celui-là même qui a dit ce matin à ses enfants quand tout le monde était levé : “Chut, il y a des gens qui dorment”. Restons zen...
Le petit-déjeuner ne traîne pas, on finit les paquets de crêpes, les compotes, on se partage les barres de céréales. Demain on aura retrouvé son chez-soi et ses habitudes.
On remballe les tentes mouillées par la pluie du matin, on porte les sacs à pied ou sur la charrette jusqu'aux kayaks que l’on retrouve intacts, ouf.

J’ai pas eu le temps de souffler que les voilà pagaies en mains, quittant l’île en avance sur l’horaire prévu, un peu avant 10h. Le vent s’est levé, il ne peut que forcir et la mer se gondole ... Désolé les copains, j’ai usé tous les tickets météo de mon pass-Merveil et ce matin j’ai passé mon temps à essayer de convaincre Eole et Neptune de se retenir un peu. Heureusement que Merzhin passait par-là, il m’a promis qu'en cas de besoin il lèverait les bras pour apaiser la mer.
Baie des Trépassés
Départ serein, avec la montante le vent nous poussera bien jusqu'à notre destination. Les goélands alignés sur la digue nous font une haie d’honneur. Les navettes passent, frôlent notre route, nous escortent, pas forcément rassurantes, j’en vois qui pagaient les yeux dans les coins. Certains prétendent que les passagers guettent à la jumelle les prochaines baignades. Humour...
Cap sur la Vieille qui veille sur le Raz de Sein. On pagaie, on pagaie et sur les hauts-fonds ça commence à danser sérieusement. Prudence, l’éventail se resserre, quelques fesses aussi, et moi je fais serre-file. Y en a qui se régalent, d’autres qui sont un peu crispés sur les pagaies. Bah, si j’en crois Polo, ça vaut pas la traversée rock n’ roll de juin et c’est moins long, ça finira bien. Voilà que les vagues se croisent, oh la la, faut laisser la Vieille à tribord et passer au loin. Aujourd'hui elle a ses humeurs, pas peur, ça finira bien...
Allô Merzhin ? Ne baisse pas les bras!

Chanson, sur le rythme des pagaies :
- Eh Jacqueline-petit navire, sourire, ça finira bien.
- Eh Framboise-baigneuse d’Iroise, t’angoisses?
- sur mon destrier dompté, oyé, je m’amuse bien.
- Y en a qui se démènent et peinent, ça finira bien
- Et d’autres qui caracolent, les fols, et s’amusent bien

La Vieille dépassée, calme relatif. Reste l’abordage aux Trépassés qui risque d’être acrobatique.
Les prudents abordent la plage en marche-arrière, face aux vagues. La caméra est en panne de batterie, Dap ayant perdu son chargeur, alors pourquoi risquer de conclure la rando par une arrivée à l’envers? Framboise semble faire durer le plaisir, peut-être pour retarder un peu ce moment fatidique qui met pied à terre et point final à l’aventure.
Philippe est là pour accueillir Katell et donner un coup de main aux arrivées. Et tout finit bien...
J’observe de loin le dernier portage. Vont me manquer les Rigolos. Faut que je me trouve un moyen, bateau ou téléportation, de les rejoindre au Moulin-Blanc, voyons... Et si je me glissais dans un caisson? Un peu sèche cette éventualité.
Les Rigolos ont vidé les kayaks, et Nicolas a retrouvé les bouteilles qui manquaient à l’appel et qui ont fait toute la rando dans les pointes de son bateau.
Voici Michel, qui a amené la remorque du club et du pain et semble avide d’entendre le récit de cette aventure à laquelle il n’a pu participer.
Pique-nique de sandwichs-pâté et de tous les restes des agapes précédentes. Aggravée sans doute par le manque de sommeil l’ambiance est nostalgique, la belle aventure est finie.
Changement de tenue et chargement des kayaks sur la remorque et les voitures. Cap sur Brest, la tête pleine d’images et de souvenirs.

Merci Merzhin pour le coup de main: j’arrive au Moulin-Blanc en même temps que les copains ! Y en a qui se bronzent au soleil au pied du CKB tandis que d’autres déchargent ou chargent les kayaks. Les Indiens de Pornichet ont réussi à caser leurs trois kayaks sur une seule voiture, et à l’endroit, chapeau les bricoleurs!

C’est à pied que les Rigolos mettent le cap sur le Tour du M’ pour le debreefing. Coincée entre les bateaux je me tords le cou et tends l’oreille pour les entendre. Rassemblés autour d’une table, les voici penchés sur la carte de leur parcours. Dap rappelle le trajet et les étapes, puis c’est le tour de chacun de prendre la parole. Les héros sont fatigués et les commentaires ont du mal à démarrer. C’est simple, tous confirment a formule en usage au CKB: que du bonheur!!!

Le Chevalier reçoit les hommages et ovations de ses vassaux avec dignité. Il a mené sa troupe avec une grande efficacité, une belle sérénité, et a fait preuve dans ses décisions de beaucoup de sagesse et d’une brillante stratégie. Et en plus il les a régalés. Bravo Dap !!! Et un grand, grand merci.
Attention que les Indiens de Pornichet ne l’enlèvent pas aux Brestois. Une guerre entre les Bretons du nord, et les Bretons (?) du sud (mais si, mais si, saluons au passage la Duchesse Anne et sa capitale) en résulterait!
A son tour le Chevalier félicite ses compagnons pour l’ambiance, l’entraide et la cohésion. ”Tous pour un, un pour tous” pourrait être leur devise.
On évoque d’autres projets, on bâtit d’autres rêves.

Et puis chacun repart vers sa vie ordinaire; moi aussi.

Eh les copains, prévenez-moi pour la prochaine rando! Le tour de Bretagne en cinq jours? Avec Dap, rien d’impossible!
Faudra qu'on se mette d’accord pour la météo (n’est-ce pas Rémi?)
A bientôt sur l’eau (ou dans l’eau...) pour écrire, ensemble, de nouvelles aventures !

Kenavo!

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crédit photos: tous les "Rigolos" ont contribué aux photos mais devant le grand mélange je ne saurais avec exactitude remercier qui. Mes remerciements seront collectifs
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